« Paul Robin », par Nathalie Brémand

(Extrait de Christine Bard (dir.) et Sylvie Chaperon (coll.), Dictionnaire des féministes. France XVIIIe – XXIe siècles, PUF, 2017)

ROBIN PAUL [Paul Charles Louis Jean]. Né le 3 avril 1837 à Toulon (Var), décédé le 1er septembre 1912 à Paris (XXe arr.).

Né au sein d’une famille de la vieille bourgeoisie lorraine, catholique et patriote, Paul Robin étudie à l’École de médecine navale de Brest, dont il démissionne en 1855 pour intégrer l’École normale supérieure à Paris. Très jeune, il se dit darwiniste et positiviste et développe dans ses carnets personnels des idées avancées pour l’époque sur le féminisme, la question sexuelle et l’éducation. Enseignant à partir de 1861 en Vendée puis à Brest, ses positions en faveur de l’éducation populaire et des méthodes pédagogiques nouvelles provoquent des heurts avec l’administration et des rapports tendus avec sa famille. En 1865, il part s’installer à Bruxelles où il rencontre Anne-Louise Delesalle qu’il épouse civilement en 1868. Il sera père de sept enfants, dont trois morts en bas âge.

Il adhère à l’Association internationale des travailleurs (AIT) en 1866. Expulsé de Belgique en raison de ses activités socialistes, il se réfugie en Suisse où il est hébergé par Bakounine. Au congrès de l’AIT de Lausanne de 1867, il participe à la rédaction d’un texte pour le droit au travail des femmes les invitant à se constituer en association de lutte pour préparer leur indépendance. De retour à Paris en 1870, il milite au sein de la Première Internationale et fait deux mois de prison ferme pour appartenance à une société secrète. Proche des anarchistes, il est expulsé de l’organisation par Karl Marx en 1871. Il se réfugie à Londres de 1870 à 1879. C’est durant ce long séjour qu’il rencontre les leaders de la cause néo-malthusienne, dont il deviendra le précurseur en France. En 1878, il publie un petit traité de technique anticonceptionnelle, La Question sexuelle.

Durant toutes ces années, l’intérêt de Paul Robin pour la pédagogie s’est renforcé. Ferdinand Buisson, qui cherche des esprits modernes pour la rénovation scolaire, lui donne un poste d’inspecteur de l’enseignement primaire puis lui confie la direction de l’orphelinat de Cempuis, dans l’Oise, dans lequel Paul Robin, de 1880 à 1894, mène une expérience d’éducation libertaire très originale pour l’époque. Il s’agit d’une école laïque faisant une grande part à l’enseignement scientifique et aux méthodes pédagogiques actives. Un des caractères les plus marquants de l’éducation qui y est mise en œuvre est la mixité. Les filles et les garçons de quatre à seize ans se côtoient partout, sauf dans les dortoirs, et un enseignement identique leur est donné. Mais suite à une violente campagne menée principalement par la réaction cléricale, Paul Robin est relevé de ses fonctions.

Néo-malthusien, éducateur et socialiste, son leitmotiv est désormais « Bonne naissance, Bonne éducation, Bonne organisation sociale ». Il se lance entièrement dans la propagande pour le contrôle des naissances. Selon lui, ne faire des enfants que lorsqu’on le désire et qu’on a les moyens de leur donner une bonne éducation est un droit et un devoir. Il faut donc enseigner aux femmes les moyens de ne pas procréer sans l’avoir choisi en leur faisant connaître les procédés anticonceptionnels. Aidées par les progrès scientifiques, les femmes peuvent ainsi acquérir la maîtrise de leurs corps, maîtrise qui leur donne la liberté de la maternité, elle-même condition essentielle à celle de l’amour. Paul Robin publie de très nombreux articles et brochures, donne des conférences sur la procréation consciente, sur l’éducation sexuelle des enfants, sur l’eugénisme ou sur le droit à l’avortement. Il propage les méthodes contraceptives et ouvre, en 1889, un centre de consultation et de vente d’objets anticonceptionnels. Il participe aux congrès ouvriers.

Franc-maçon, il donne des conférences à la Jérusalem écossaise et dans les loges mixtes, et se fait exclure du Grand Orient pour sa participation à la maçonnerie mixte. Son combat aux côtés des femmes ne s’arrête pas là.

Paul Robin voit dans les prostituées des victimes et lutte contre la prostitution. Il envisage un temps, avec l’Entente internationale des femmes, de créer un syndicat de prostituées pour les défendre et supprimer la réglementation.

En 1896 il crée la Ligue française de la régénération humaine, puis son bulletin Régénération. Vains dans un premier temps, les efforts de Paul Robin et de ses compagnons pour diffuser les thèses néo-malthusiennes commencent à porter leurs fruits à partir des années 1900, en partie grâce au ralliement de nombreux anarchistes et syndicalistes. Cette période est marquée par de grands meetings et par le développement de nombreuses sections locales en province. Mais le gestionnaire de la Ligue, Eugène Humbert, scissionne en 1908. Paul Robin saborde l’organisation et se retire de l’action, puis se suicide en 1912.

Paul Robin soutient la cause des femmes en défendant leur accès à toutes les fonctions de l’enseignement et en mettant en pratique une mixité complète à l’orphelinat de Cempuis. L’engagement féministe qu’il manifeste par son combat pour le néo-malthusianisme est particulier car il place la maîtrise de la fécondité – et la liberté sexuelle – au cœur de l’émancipation des femmes. Son approche est radicale : il se dit en faveur de l’union libre pour ne pas aliéner la liberté des femmes et les pousse à revendiquer elles-mêmes leur émancipation en faisant la « grève des ventres ». La plupart des féministes de l’époque placent alors leurs luttes sur d’autres plans, en particulier celui de la revendication du droit de vote. Certaines militantes cependant rejoignent ses positions, comme Paule Minck qui le soutient lors du congrès féministe international de 1896 où il défend l’amour libre et fustige le mariage. Mais ce sont surtout, bien sûr, les féministes néo-malthusiennes comme Jeanne Dubois, Gabrielle Petit et surtout Nelly Roussel qui luttent à ses côtés.

Nathalie BRÉMAND

Le Néo-malthusianisme : la vraie morale sexuelle, le choix des procréateurs, la graine, la prochaine humanité, Paris, Librairie de « Régénération », 1905. – Libre amour, libre maternité, Paris, Éditions de l’« Humanité nouvelle », 1900. – Propos d’une fille, Paris, Librairie de « Régénération », 1905.

Archives de police. – GIROUD G., Paul Robin, sa vie, ses idées, ses actions, Paris, Mignolet et Storz, 1937. – HUMBERT J., Une grande figure. Paul Robin (1837-1912), Paris, La Ruche ouvrière, 1967.

COVA A., Féminismes et néo-malthusianismes sous la IIIe République : « La liberté de la maternité », Paris, L’Harmattan, 2011. – DEMEULENAERE-DOUYÈRE C., Paul Robin (1837-1912), un militant de la liberté et du bonheur, Paris, Publisud, 1994. – RONSIN F., La Grève des ventres. Propagande néo-malthusienne et baisse de la natalité française, XIXe-XXe siècles, Paris, Aubier-Montaigne, 1980.