« Ayez peu d’enfants » (Anonyme)

(Article sans signature paru dans Le Libertaire en mars 1903)

Ayez peu d’enfants

Il est incontestable qu’une immense majorité des humains périt prématurément dans la lutte contre les difficultés naturelles et sociales. Si l’on tient compte non seulement du gros million de Français (1/30 de la population) et des trois millions d’Anglais, etc., etc. qui ne vivent que de hasard et meurent littéralement de faim, parfois d’une manière scandaleuse, le plus souvent inaperçue, mais de tous ceux dont la vie est abrégée par l’excès ou l’insalubrité du travail, par l’insuffisance de nourriture, de loisir d’amour on n’exagère pas en disant que les neuf dixièmes de l’humanité sont misérables, et qu’il n’y a guère que la vie du dixième d’en haut qui soit à peu près enviable.

Un enfant arrive au monde en moyenne avec une bonne chance contre neuf mauvaises. Et si la proportion se renverse, et au-delà, pour les rejetons de l’heureux dixième, elle doit par contre s’aggraver pour les autres de manière à ne pas leur laisser un centième de chance d’arriver à la vie normale, au bien-être intégral rêvés par les philosophes.

Quelle folle rage pousse donc ceux qui sont ou au moins prétendant être les amis de l’humanité, à prêcher de toute manière la production effrénée de tant de misérables sans espoir d’être soulagés ? Laissez donc ce rôle aux despotes guerriers qui ne songent qu’à avoir à bon marché beaucoup d’esclaves tueurs, aux capitalistes qui veulent de la chair à usines moyennant des salaires de famine, aux jouisseurs bien rentés qui ne cherchent dans les souffrances de nos sœurs, les vendeuses d’amour, que la satisfaction de leurs perversions sexuelles. Mais vous qui voulez travailler au bonheur humain, de grâce occupez-vous d’avoir une table bien garnie avant d’exagérer le nombre des convives !

Sans doute, on pourrait faire de ce qui existe une répartition plus fraternelle, et c’est à cela que nous travaillons avec tous les socialistes ; mais enfin cette répartition n’est pas faite, et en attendant qu’elle le soit, la misère continue à exercer ses affreux ravages.

Ne croyez pas qu’en augmentant le nombre des misérables, vous augmenterez leurs chances de victoire dans l’inévitable lutte sociale. Les écrasés sont mauvais lutteurs et vous avez toujours trouvé vos partisans parmi les gens relativement heureux pour eux-mêmes, mais souffrant par leur cerveau de la misère des autres.

Commencez donc à montrer à tous l’utilité de la prudence procréatrice ; inspirez le désir et enseignez le moyen de la pratiquer sans souffrances, sans privations (1). C’est parmi ceux à qui vous aurez donné la sécurité relative de cet important commencement du bonheur que vous trouverez les meilleurs compagnons de lutte pour en conquérir le reste pour eux-mêmes et pour tous les humains.

(anonyme)

Le Libertaire
Neuvième année — 4e série — N°18
Du 8 au 15 Mars 1903

(1) C’est à quoi travaille par son périodique et ses autres publications, activement la Ligue de la Régénération humaine, fondée en 1896, 27, rue de la Duée, Paris XXe.

(Dans le même numéro, p. 4, encart publicitaire pour la Ligue de Régénération humaine)

Ligue de Régénération humaine
27, rue de la Duée, Paris XXe
Moyens d’éviter les grandes familles, brochure
à 0, 30 c.Brochurettes à 5 c. : Libre amour,
Libre maternité ; Population, prudence pro-
créatrice ; Contre la nature ; Le Néo-Malthusia-
nisme et prochaine Humanité ; L’Education inté-
grale. — Feuillets de propagande à 60 c. le cent.
Régénération, organe mensuel 10 c. le N°.
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