(Extrait de Francis Ronsin, La Grève des ventres. Propagande néo-malthusienne et baisse de la natalité en France (19e – 20e siècles), Editions Aubier, 1980, p. 182.)
Dépopulons
(extraits)
« J’écris ces mots à l’abri des foudres de M. Piot et du sabre du colonel Toutée, car nous ne sommes pas d’accord. Ils disent “repeuplez” et moi “dépopulons” !
« “Voyons, gémit le brave sénateur, des enfants ! faites-nous des enfants” et il agite le spectre de l’Allemagne. (…)
« Le colonel n’y va pas par quatre chemins : une loi ! une bonne loi sur le sujet. Loi imbécile et canaille comme toutes d’ailleurs.
« Et à qui s’adressent-ils ces bons apôtres du pullulement humain ? (…)
« Vous avez peur que votre provision de chair à travail, à canon, ou à prostitution, ne s’épuise et, hypocritement, vous faites appel aux vieux principes démodés. (…)
« Et après ? que voulez-vous que ça nous fasse à nous ouvriers, qui ne possédons dans votre France pas la place où reposer notre tête ? Que nous importe la grandeur ou la décadence de votre patrie en tant qu’unité géographique ?
« A côté de celle qui réside en la néfaste organisation sociale, cette insouciance du prolétaire, créant de la vie sans s’inquiéter s’il peut assurer l’existence de l’être qu’il procrée, est une des plus importantes. Quel plus navrant spectacle que ces nichées de pauvres petits, pâles, misérablement accoutrés, accrochés aux jupes de pauvres femmes déjetées par les maternités fréquentes et les privations !
« Que de peines, d’efforts surhumains pour élever tant bien que mal, la nombreuses famille, mal logée, mal nourrie, mal vêtue, et tout cela pour aboutir, lorsque le gars peut venir en aide aux parents devenus vieux et usés, à voir la caserne le happer et le rendre perverti moralement et, souvent physiquement pourri.
« Aussi, pour réagir, ne craignons-nous pas de dire : “Travailleurs, ayez peu d’enfants !”
« Il ne faut plus créer pour la misère, la servitude ou la mort. Restreignons les naissances, prenons les précautions pour que nos seules et rares joies de parias ne soient pas suivies de tant de souffrances.
« Que la bourgeoisie fasse des enfants pour protéger les fruits de ses rapines et de son exploitation ; nous ne sèmerons la vie que lorsque chaque être aura, à son apparition, sa place au soleil et la libre expansion de son individualité assurée. »
Charles DESPLANQUES
Voix du Peuple – 7 avril 1913